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mercredi 8 septembre 2010

DESCRIPTION DE LA PESTE DE FLORENCE EN 1527



Vue sur l'Arno et 4 ponts depuis celui du Ponte Vecchio


PAR MACHIAVEL


http://bellesplumes.blogs.courrierinternational.com/images/medium_Machiav.jpg


Je n'ose poser sur le papier ma main tremblante pour traiter un si
déplorable sujet. Ce n'est pas tout ; et plus je réfléchis sur cet amas de
misères, plus l'horrible description que je vous ai promise
m'épouvante. Quoique j'aie tout vu, le récit renouvelle mes larmes
amères. Je ne sais par où commencer, et si je le pouvais,
j'abandonnerais mon entreprise ; néanmoins le désir extrême que j'ai
de savoir si vous vivez encore bannira toute crainte.
Notre malheureuse Florence offre aujourd'hui un spectacle semblable
à celui d'une ville que les infidèles auraient prise de vive force et
ensuite abandonnée. Une partie des habitants, imitant votre exemple, a
fui devant le fléau mortel, et s'est réfugiée dans les villa éparses autour
de la ville ; les autres ont trouvé la mort, ou sont sur le point de
mourir. Ainsi le présent nous accable, le futur nous menace, et l'on
souffre autant de la crainte de vivre que de celle de mourir.
O malheureux temps ! ô saison déplorable ! Ces rues si belle et si
propres, que l'on voyait remplies d'une foule de nobles et riches
habitants exhalent maintenant l'infection et la malpropreté ; on n'y voit
que des pauvres, dont la lenteur et les cris effrayés ne permettent pas
d'y marcher avec sécurité ; les boutiques sont fermées, les exercices
suspendus, les tribunaux et les cours absents, et les lois mises en oubli:
aujourd'hui on apprend un vol, demain un meurtre ; les places, les
marchés où les citoyens s'assemblaient fréquemment sont devenus des
tombeaux ou le réceptacle de la plus vile populace ; chacun marche
isolé ; et au lieu d'une population amie, on ne rencontre que des gens
infectés des poisons de la peste. Un parent trouve-t-il un parent, un
frère un frère, une femme son mari : chacun s'éloigne au plus vite.
Que dirai-je de plus ? les pères et les mères repoussent leurs propres
enfants et les délaissent !
Les uns portent à la main, ou, pour mieux dire, ont toujours sous le
nez des fleurs, les autres des herbes odoriférantes ; ceux-ci des
éponges, ceux-là de l'ail, d'autres enfin des boules composées de
toutes sortes de parfums ; mais ce ne sont là que quelques-unes des
précautions. Il existe aussi des boutiques où l'on distribue du pain, ou,
pour mieux dire, dans lesquelles on sème pour recueillir des bubons.



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