Il était à ce point préoccupé de l'harmonie des tons, que certaines couleurs mal arrangées dans des toilettes de provinciales ou sur des toiles de membres de l'Institut le faisaient grincer douloureusement, comme un musicien en proie à de faux accords.
A ce point que pour rien au monde il ne buvait de vin rouge en mangeant des oeufs sur le plat, parce que ça lui aurait fait un sale ton dans l'estomac.
Une fois que, marchant vite, il avait poussé un jeune gommeux à pardessus mastic sur une devanture verte fraîchement peinte (Prenez garde à la peinture, S. V.P.) et que le jeune gommeux lui avait dit: "Vous pourriez faire attention...", il avait répondu en clignant, à la façon des peintres qui font de l'œil à la peinture
- De quoi vous plaignez-vous ?... C'est bien plus japonais comme ça.
L'autre jour, il a reçu de Java la carte d'un vieux camarade en train de chasser la panthère noire pour la Grande Maison de fauves de Trieste.
Un attendrissement lui vint que quelqu'un pensât à lui, si loin et de si longtemps, et il écrivit à son vieux camarade une bonne et longue lettre, une bonne lettre très lourde dans une grande enveloppe.
Comme Java est loin et que la lettre était lourde, l'affranchissement lui coûta les yeux de la tête. L'employé des Postes et Télégraphes lui avança, hargneux, cinq ou six timbres dont la couleur variait avec le prix. Alors, tranquillement, en prenant son temps, il colla les timbres sur la grande enveloppe, verticalement, en prenant grand soin que les tons s'arrangeassent - pour que ça ne gueule pas trop. Presque content, il allait enfoncer sa lettre dans la fente béante de l'Etranger, quand un dernier regard cligné le fit rentrer précipitamment.
- Encore un timbre de trois sous.
- Voilà, monsieur.
Et il le colla sur l'enveloppe au bas des autres.
- Mais, monsieur, fit sympathiquement remarquer l'employé, votre correspondance était suffisamment affranchie.
- Ça ne fait rien, dit-il.
Puis, très complaisamment :
- C'est pour faire un rappel de bleu.
La couleur bleue désigne la tendresse, la poésie.
"Paris, la nuit" (1951) de Maria Elena Vieira da Silva
Je lègue à mes amis
un bleu céruleum pour voler haut
un bleu de cobalt pour le bonheur
un bleu d'outremer pour stimuler l'esprit
(Viera da Silva, "Le Testament")
6 commentaires:
Gwendoline bonsoir et bien merci pour ce bleu
Ma couleur préférée
comment y résister!!!!!!!!! bisou
moi aussi...je ne résiste pas ! bizz
Bleu--l'effet Doppler --c'est la couleur d'une étoile qui s'approche.
oui! le bleu est rouge ! heureusement que M. Doppler s'est bien cassé la tête pour nous l'apprendre....je préfère ma "fréquence" bleue...*_*
Bonjour Gwendoline , une histoire de long courrier très touchante . Cet homme aimait la couleur bleu comme il aimait la mettre en valeur sur ces tableaux . Tu évoques dans ce joli texte une grande maison de fauves de trieste , je te propose de découvrir une chanson de mon répertoire qui s'intitule justement "la grande maison " , la voici :
http://www.wat.tv/video/jerry-ox-grande-maison-6frud_4uj2j_.html
En te souhaitant une journée radieuse comme un bouquet de violettes !
merci! je vais aller dans ta maison...*_*
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